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La vérité derrière deux noms

Une lettre à ma mère




Mots par My-Van Dam
24 Novembre 2021









Maman, tu as traversé l’océan en bateau pour fuir un pays qui menaçait ta liberté et freinait ton désir de rêver en grand. Tu as traversé l’autre bout du monde pour permettre à tes futurs enfants de grandir dans un environnement sécuritaire. Une terre qui nous a promis que nos rêves pouvaient se réaliser. Une terre qui nous a promis de nous accueillir les grands bras ouverts.

En 1975, tu as immigré au Canada après une longue et terrorisante traversée et tu as recommencé ta vie, ici, au Québec. À votre arrivée, papa et toi, vous vous êtes nommés Philippe et Allyce et lorsque nous sommes nées, vous nous avez nommés Cathy et Christine. Vous avez choisi de nous donner aussi des noms occidentaux car, selon vous, cela allait nous permettre de mieux nous intégrer. C’était peut-être, en quelque sorte, une façon de souligner votre réussite. Un privilège, un prestige, une manière de marquer votre nouveau départ, votre et notre nouvelle vie au Québec. Une manière d’offrir à vos enfants toute la liberté et les opportunités que nous méritons.



My vulnerability is not for shaming (2019) est une installation vidéo réalisée par My-Van Dam qui explore les thèmes de la perte, du deuil et de la résilience.


Maman, est-ce que tu te souviens lorsque je voulais que personne ne connaisse mon prénom vietnamien? Est-ce que tu te souviens que je voulais que tout le monde m’appelle Christine et refusait qu’on m’appelle My-Van? Est-ce que tu te souviens quand je te demandais pourquoi mon prénom occidental ne pouvait être mon prénom officiel? Tu m’as répondu avec un sourire au coin des lèvres : “ Parce que Christine n’est pas ton vrai prénom, Christine est ton prénom québécois et c’est plus facile à prononcer pour les québécois.e.s., ça va t’aider à t’intégrer.” Je t’avoue que je n’avais jamais vraiment compris, car, pour moi, My-Van n’était pas du tout difficile à prononcer, mais, j’ai quand même adopté ce prénom sans vraiment me poser de questions sur l’impact que cela pouvait avoir sur moi.

Pendant longtemps, j'ai porté ce prénom, Christine, avec une grande fierté. Cela me donnait un sentiment d’appartenance au Québec. Cependant, avec le temps, quelque chose se formait à l’intérieur de moi. En effet, un poids énorme s’est déposé sur mes épaules, qui était celui de la honte d’être vietnamienne. J’ai réprimé ce côté de moi, car je ne me rejoignait pas aux modèles de la femme asiatique représentés dans les médias populaires québecois (en réalité, c’est rare que je voyais quelqu’un qui me/nous ressemblait). Même si nous étions sous représentés dans les médias populaires, il était clair que tout le monde s'attendait (et encore aujourd’hui) que nous soyons passives, obéissantes, fidèles et travaillantes. Un stéréotype qui est fortement ancré dans l’imaginaire des occidentaux, mais aussi faisant partie de l’éducation de la femme asiatique, mais, tu le sais, que je suis loin d’être cette personne. Au contraire, maman, tu me connais. Je suis une personne de caractère avec une forte opinion, créative, engagée et indépendante. Même si tu n’as pas toujours compris mes choix et ma manière d’exprimer mes mécontentements, je remarquais qu’à l’intérieur, tu admirais ma capacité de m’exprimer.

Maman, tu me dis souvent que je suis passionnée comme toi quand tu étais jeune, tu me dis souvent que j’ai cette force de caractère comme toi, que je suis persévérante et que j’ai besoin de personne pour réussir. La différence c’est qu’on est née dans des contextes et des époques très différents. Au Canada, je me sens libre de m’exprimer et de devenir la personne que je veux. La différence, c’est que tu n’avais pas les ressources nécessaires pour guérir de tes souvenirs qui t’ont trop longtemps suivies. Tu as grandi dans un environnement qui t’a appris à intérioriser tes souffrances et à rester en silence, parce que montrer ta vulnérabilité en pleurant voulait dire perdre la face et le contrôle. Pendant longtemps, tu étais terrorisée à l’idée de demander de l’aide et ton égo criait “victoire!” à chaque fois que tu te relevais seule de ses événements traumatisants. Inconsciemment, tu m’as transmis ses croyances et ses peurs. Moi aussi, j’ai fait de ma vie un secret pour protéger l’image de ma famille et pour me protéger de mes propres souffrances.

Maman, tu m’observais de loin, tu t’inquiétais et tu te sentais coupable. Tu voyais que j’étais perdue et que mes peurs et angoisses ne faisaient que grandir, ainsi que mon égo. L'égo que je définis comme étant l’ensemble de nos peurs et insécurités associées à des événements négatifs ou traumatiques. Mon égo qu’aujourd’hui j’appelle Christine. Tu t’inquiétais parce que tu ne voulais pas que je reproduise les mêmes erreurs. Ta culpabilité te rongeait de l’intérieur, car tu savais que nous avions construit la même image sociale : une femme souriante, performante, fêtarde et qui n’a besoin de personne. Nous étions devenus des surhumains, complètement déconnectés de notre corps et de nos émotions.



L'ombre d'une lumière (3), 35mm film, 24" X 36", 2015. https://www.myvandam.com/l-ombre-d-un-lumiere


À cette période, la danse était un des seuls moments où j’arrivais à retirer mon masque et à me connecter à mes émotions. Pendant un court instant, j’arrivais à être présente dans mon corps et à ressentir une nouvelle énergie se propager à l’intérieur de moi. Un sentiment qui m’aidait à me sentir vivante. Je pouvais, finalement, me connecter à mon moi véritable que j’appelle aujourd’hui My-Van. Cependant, à ce moment-là, je n’avais pas pleinement conscience de l’effet positif que la création m’apportait, mais toi, tu savais que la danse avait une place spéciale dans ma vie. Tu m’encourageais à ta manière et tu venais voir mes spectacles. Même si tu avais de la difficulté à exprimer ta fierté, je le voyais dans tes yeux et ta présence.

Après mes études secondaires, j’ai alors décidé de m'orienter vers des études en sciences humaines. Mon côté fêtard était de plus en plus présent et mes comportements autodestructeurs étaient au rendez-vous. Des années de fêtes et je m'éloignais davantage de ma réalité, complètement déconnectée de mon corps. Même si je vivais ma jeunesse, mon sentiment de solitude ne s'atténuait pas.

Maman, tu te souviens lorsque je t’ai dit que j’avais changé d’un programme en science humaine pour un programme en art? Est-ce que tu te souviens que je m’enfermais pendant des jours dans ma chambre pour créer? Et pendant un court instant tu retrouvais, enfin, ta fille épanouie.

L’art visuel a été une grande révélation pour moi. Je passais mon temps à peindre, à sculpter et à dessiner. J’avais, finalement, retrouvé un calme. Même si j’avais le sentiment de me retrouver à travers l’art, cela ne m'empêchait pas de faire la fête, car je n’arrivais pas à trouver l’équilibre entre mes deux univers, celui de l’autodestruction et du bien être. Naturellement, la volonté de vouloir retourner à mon prénom vietnamien commençait à émerger dans mes pensées.


Dessin #11, pastel gras, crayon à mine, fusain. 18" X 24", 2020. https://www.myvandam.com/s%C3%A9rie-dessins


Tranquillement, je commençais à en parler à mes proches et heureusement, ces personnes m’ont fortement encouragé à faire le changement. Même si tu ne comprenais pas vraiment mon intention de revenir à mon prénom vietnamien, tu as respecté ma décision et tu as fait l’effort de m'appeler My-Van. Cela a pris un temps d'adaptation pour tout le monde, incluant moi, car je n’arrivais pas à l’expliquer. Je ne faisais que suivre mon intuition.

Retourner à mon prénom vietnamien ne symbolisait pas simplement de me réapproprier mon identité vietnamienne, mais plutôt comme une opportunité pour moi de me redéfinir tel que je le souhaitais. Puisque j’étais perçue comme une étrangère au Vietnam et au Québec, comme plusieurs enfants d’immigrants, j’avais le sentiment d’appartenir ni à l’un ni à l’autre comme le dit si bien l’expression anglophone neither here nor there.

Affirmer mon prénom vietnamien est en quelque sorte un positionnement. Le positionnement de refus face à une assimilation qui demande l’abandon de nos traits et caractéristiques. C’est un moyen pour moi d’assumer qui je suis au-delà des traditions vietnamiennes et québécoises et des attentes qui peuvent provenir de ces dernières, mais avant tout, c'était une façon de me reconstruire afin de réconcilier les différentes facettes de mon identité pour finalement me permettre de me connecter au véritable moi que j’appelle à ce jour My-Van.

Aujourd’hui, tu m’appelles My-Van et on apprend à se connaître de nouveau et tranquillement, on marche ensemble vers le chemin de la guérison.





À PROPOS DE L’AUTEURE

My-Van Dam est une artiste multidisciplinaire basée à Tiohtiá:ke/Montréal. Elle est aussi coordonnatrice à la programmation régulière et à la technique à La Centrale galerie Powerhouse et est diplômée de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) en arts visuels et médiatiques. Dans sa pratique artistique, elle s'intéresse à la transmission des traumatismes intergénérationnels, à la mémoire, à la vulnérabilité, la résilience et au processus de guérison. Plus particulièrement, le travail de Dam explore les conséquences des événements traumatiques sur notre mémoire individuelle et collective, et l’impact des traumas sur notre santé physique et psychologique, sur nos relations interpersonnelles et notre identité. À travers l’usage d’une variété de médiums et de techniques (peinture, photographie, sculpture, installation et vidéo), Dam cherche à exposer la vulnérabilité qui habite chaque individu et à démontrer la complexité humaine au travers d’expériences artistiques. Son but est, aussi, d'interpeller les spectateur.trice.s sur leur propre condition pour que ces dernier.ère.s puissent s’interroger et avoir une base de réflexion sur ces thèmes afin de faire appel au courage et à la paix intérieure. My-Van Dam a participé à plusieurs expositions collectives, notamment à la galerie Patrick Mikhail, à la Place-des-Arts de Montréal et à la galerie ArtHelix à New York.







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